Le Brésil,
un territoire d'héritage colonial, une terre de conquête.
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La place des cerrados dans la notion de frontière agricole.
Au
delà de l'Amazonie, l'espace pionnier des savanes arborées
rentre entièrement dans le cadre du processus de colonisation.
Il est vrai que l'on parle plus de l'Amazonie ; sans doute
parce que cet espace a été abondamment étudié
sous différents aspects, notamment celui de sa colonisation,
de sa mise en valeur à travers l'étude des espaces
déforestés. Comme le souligne Philippe WANIEZ,
les cerrados sont mieux connus sous leur aspect de "grenier
à soja" du Brésil.
Pourtant,
les cerrados, premièrement d'un point de vue national
et géographique, s'étendent sur un bon morceau
du territoire brésilien (deux millions de kilomètres
carrés), entre Nordeste, Sudeste et Amazonie.
Deuxièmement,
ils représentent un véritable intérêt
dans la compréhension et l'analyse de la notion de
frontière, principalement agricole, et dans l'étude
de leur étude que la frontière a profondément
marquée sur son passage.
Les
cerrados, une frontière écologique.
Originaire
du Vénézuela, le terme cerrado signifie "
savane ".
Les
cerrados ou campos cerrados selon (A.HUETZ DE LEMPS ) s'étendent
sur tout le plateau central brésilien, entre la forêt
amazonienne et les zones côtières. Son taux de
recouvrement est particulièrement important (1 800
000 km2) sachant qu'au Brésil, une aire se nomme cerrado
dès qu'une quantité plus ou moins importante
d'arbres vient la couvrir.
Á
ce niveau, on peut distinguer trois grandes familles : le
campo cerrado ou cerradinho (savane arborée ouverte)
lorsque les buissons et arbustes sont lâches, le cerrado,
moyennement parsemé, et le cerradão (savane
arborée dense), caractéristique d'une végétation
arbustive et arborée.
Le
cerrado est une savane arborée ou arbustive et buissonnante.
Les arbres au tronc tortueux, à l'écorce épaisse
et aux cimes peu développées, n'atteignent pas,
pour la plupart, plus de 10 mètres de haut. Rarement
épineux, leurs feuilles sont persistantes à
caractère xéromorphe. La strate herbacée
est constituée à 90% de graminées.
Ses
racines peuvent descendre très profond et ainsi atteindre
une nappe phréatique éloignée de la surface
du sol. Elles permettent au cerrado de s'adapter à
beaucoup de variétés de sols, notamment à
des sols acides, pauvres en nutriments, et en eau durant la
saison sèche. Effectivement, l'existence des cerrados
semble liée à la médiocre fertilité
des sols ; la roche est parfois décomposée sur
plus de 20 mètres de profondeur, l'évolution
latérique est très rapide mais il n'y a pas
formation de cuirasse ce qui rend le sol très fragile,
totalement démuni de calcium et de phosphore, tout
en lui donnant un caractère très acide.
Il
se localise sur le plateau de Parecis et sur la Chapada dos
Guimaraes. A.HUETZ DE LEMPS souligne que les cerrados sembleraient
être moins une végétation naturelle que
dégradée. Leur extension est liée à
l'assèchement du milieu par les feux de brousse. La
végétation climatique semble avoir été
le cerradão assurant un couvert forestier de plus de
50%. Il aurait été transformé en cerrado
sous l'action anthropique.
Son
extension est nette au pied des escarpements de plateaux,
notamment dans la Chapada dos Guimaraes ; on note un assèchement
de la végétation humide, la vereda, propre aux
versants, entre cerrado et rio, bordé de forêt
galerie. L'assèchement local dans la vereda entraîine
l'arrivée de termites qui favorise le développement
local d'îlots de végétation arbustive
( arbres, graminés, buissons), les murundus. La multiplication
des murundus, significatifs de l'assèchement (baisse
de la nappe phréatique), induit l'avancée des
cerrados vers les rios (ce qui pourrait conduire à
leur assèchement).
Dans
la classe des cerrados s'intègrent également
le campo sujo (sale), ou savane-parc, opposé au campo
limpo (propre), savane graminéo-ligneuse.
Naturel
ou anthropique, le campo sujo se localise principalement sur
la Chapada dos Parecis. Son origine anthropique provient d'un
premier défrichement et brûlis pour la mise en
culture,et son évolution en pâturages naturels.
Le
campo limpo est légèrement présent dans
la Chapada dos Parecis. Dans la Chapada dos Guimaraes, haut
plateau à l'est de Cuiaba, il a été remplacé
par la culture du riz, du maïs ou du soja, ou encore
en pâturages.
Bien
que le cerrado dans le domaine des formations végétales
ne se calque pas vraiment sur le cerrado économique
défini récemment par PH.WANIEZ (1992), cet espace
est l'actuel terrain d'action de la "frange" pionnière.
Au début, et comme nous l'avons vu, selon la tradition
brésilienne l'homme s'est tourné vers la forêt,
en direction du Rondônia et de l'Amazonie. À
partir de 1970, le développement de l'occupation du
plateau du campo cerrado a débuté pour s'intensifier
aujourd'hui.
Logique
d'intégration au territoire national.
L'IBGE
définit l'aire des cerrados comme un espace englobant
l'ensemble des États du Goias, du Mato Grosso, du Mato
Grosso do Sul, et une partie de ceux du Piaui, de Bahia, du
Maranhao et du Minas Gerais. PH.WANIEZ (1992) exclue une bonne
partie du Mato Grosso, n'incluant que le sud-est.
La
région de cerrados, comme l'espace amazonien, rentre
dans un processus d'intégration au territoire national
largement organisé par l'état brésilien.
L'intervention des pouvoirs publics dans les terres neuves
est justifiée par la volonté d'un meilleur équilibre
entre les régions.
L'avancée
du front pionnier et de la frontière agricole aura
profondément marqué le milieu du cerrado, et
tout le territoire centre-ouest. Dans l' espoir de diminuer
les contrastes inter régionaux, diriger les migrations
vers des espaces nouveaux et neufs va bien au delà
d'une politique sociale. Les perspectives d'enrichissement
sont également évidentes dans l'aspect économique
du front d'expansion. "Marcher" vers ces espaces
vierges et immensément étendus va permettre
l'accroissement des superficies en production permettant un
mode de mise en valeur du sol extensif. Ainsi, tourner les
productions vers des terres neuves va augmenter les capacités
d'exportation du pays.
Au
delà des préoccupations sociales, les motivations
économiques sont évidentes.
L'occupation
spéculative des terres va s'orienter vers la culture
de soja et l'élevage extensif donnant ainsi sa particularité
aux régions du Centre-Ouest. La route Cuiaba-Porto
Vehlo devient stratégique. En 1970, le front de colonisation
se déplace donc vers le sud pour contrôler, entre
autre, la zone frontalière Brésil/Bolivie.
Véritablement, l'élan pionnier a commencé
dès 1975 par le lancement du programme POLOCENTRO.
Une fois le Polocentro désactivé, c'est le programme
PRODECER qui va chercher à valoriser les cerrados ;
il est défini sur l'établissement et le développement
de pôles de croissance ayant comme base des exploitations
familiales intensives et mécanisées, de 300
à 500 hectares, encadrées par des coopératives.
Il s'étend sur 70 000 hectares.
Terre
d'espoir pour les paysans pauvres du Nordeste ne possèdant
pour la plupart, que le titre de possession (le posse) et
les agriculteurs moyens ne subvenant plus à leurs besoins
dans le sudeste, les cerrados sont également le lieu
de spéculation des exploitants plus aisés du
Sud qui ont bénéficié de subventions
leur permettant une agriculture mécanisée tournée
vers le système agro-industriel.
Ces
Sudistes (plus particulièrement originaire du Rio Grande
do Sul) prennent la direction du Mato Grosso munis de leur
techniques et savoir faire agricoles et s'investissent dans
la culture intensive du soja et du blé.
Lena LAVINAS (1987) remarque que l'occupation première
des cerrados répond " à une demande mondiale
très forte pour le soja " qui finalement conduit
à l'internationalisation de la région. Sur le
terrain, cela se traduit par " une emprise de plus en
plus forte sur la propriété de la terre exercée
par des sociétés à capitaux étrangers
comme le Cotia ou Cargill. " (PH.WANIEZ, 1992).
L'État
du Mato Grosso, dont l'espace de notre étude fait partie,
espace de transition entre le cerrado ou campo cerrado et
la forêt tropicale ou mixte (transition vers la forêt
équatoriale), occupe une place importante dans cette
logique de frontière agricole.
Quelques références bibliographiques
sur le thème des cerrados :
1.LOPES,
A.S & F.R. COX, 1977, " A survey of the fertility
of surface soils under the cerrado vegetation in Brazil",
Soil Science Society of America, Proceedings 4, 742 à
747.
2.KLINK
C.A., A.G. MOREIRA & O.T. SOLBRING, 1993, " Ecological
impacts of agricultural developpement in the brazilian cerrados.",
in The world's savannas. Economic driving forces, Ecological
constraints and policy options for sustainable land use, MAB
series edition, volume 12, Partnenon Publishing, London, p.259-283.
3.NEPSTAD
D.C., KLINK C.A., UHL C., VIEIRA I.C., LEFEBVRE P., PEDLOWSKI
M., NEGREIROS G., BROWN I.F., AMARAL E., WALKER H.&R.,
1997,
" Land use in Amazonia and the cerrado of Brazil.",
Cienca e cultura 49 (1/2), p.73-86.
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