Le Brésil,
un territoire d'héritage colonial, une terre de conquête.

2 La terre comme espoir ; conquête du Centre-ouest et de l'Amazonie.

L'Amazonie et le Centre-Ouest occupent une place à part et privilégiée dans l'espace et l'imaginaire Brésilien.
Espaces immenses, vides d'hommes, l'Amazonie et le Centre-Ouest ont connu depuis près de trente ans une ruée pionnière qui a bouleversé toute leur géographie. Périphérie pionnière, ces espaces ont longtemps été considérés comme la solution aux problèmes du Nordeste. Au Brésil, l'Amazonie illustre sans aucun doute l'intervention de l'Etat sur les terres neuves ; les problèmes nés des sécheresses répétées dans le Nordeste ont fait que le gouvernement militaire des années 1970-1980 ont placé cet espace pionnier au premier plan des politiques sociales et agricoles.

L'Amazonie légale.
Définie par la législation brésilienne, l'Amazonie légale comprend les États amazoniens (le Pará, l'Amazonas, l'Acre, les territoires du Rondônia, du Roraima, et de l'Amapa), le nord du Mato Grosso, le nord du Goias et l'ouest du Maranhão. Elle se définit donc sur trois des cinq grandes régions du Brésil.
Elle constitue le vrai domaine pionnier où sont concentrées les opérations publiques et privées, où s'appliquent les subventions et les avantages fiscaux.
Le milieu naturel est, contrairement à son apparence, très diversifié et très complexe. C'est un domaine de terre basse où règne la grande forêt tropicale humide. Sous l'épaisse canopée la topographie peut être bien marquée et les sols très diversifiés malgré l'apparente uniformité de la végétation.
Au delà de l'Amazonie légale, le Centre-Ouest est considéré comme étant la périphérie agricole, pastorale, industrielle du Sudeste. Région de transition au niveau de la biomasse, cet espace de cerrados est la nouvelle frontière agricole du pays.
Le Nord et l'Ouest du Brésil constituent des réserves d'espaces disponibles et pleins de richesses, au potentiel d'expansion imaginé illimité. En effet, ces espaces sont restés très longtemps connus au travers des récits de voyage et leur figuration, de ce fait, erronée. Il fallut attendre 1974 pour connaître leur milieu naturel grâce au programme RADAM .
Périphérie pionnière, l'Amazonie Légale est peu peuplée ( six habitants par km2 dans le Centre-Ouest et trois en Amazonie) car une fois la mainmise politique et le contrôle territorial assurés, les techniques d'encadrement et d'occupation n'ont pas privilégié l'exploitation économique. "Alors que le Brésil a su conserver, et même étendre sa souveraineté politique (conquête de l'Acre), le contrôle économique lui a échappé totalement." (H.THERY, 1995)

Le rôle de l'État dans la politique d'intégration des espaces pionniers
Les mouvements migratoires vers l'Amazonie ont été encouragés par le gouvernement de par la sollicitude à une production d'alcool de sucre de canne. De plus, il a financé le remplacement de la culture intensive de café par une culture mécanisé de soja et de blé, principalement mise en valeur dans le Centre-Ouest.
L'action déterminante dans l'ouverture et l'occupation de ces régions vides, qui du même coup permettait de réduire la pression sur la terre dans les régions en crise du Nordeste où le partage des terres est insupportablement inégal, est la construction de routes. Elles ont permis un désenclavement de la région et, de ce fait, sa colonisation agricole et son peuplement ( tant partiel et disparate soit-il).
Dans les années soixante-dix, le Projet d'Intégration Nationale (PIN) comportait donc un premier volet, celui d'intégrer ces régions dans le territoire national et d'en faciliter l'accès. La transamazonienne traversa donc d'ouest en est le territoire amazonien et relia la région du Tocantins à Cruzeiro do Sul, le plus à l'ouest ; elle permit ainsi une périmètrie du Nord. Longitudinalement, Brasilia fut reliée à Porto Velho, elle même reliée à Manaus et au Vénézuéla ; également, à Belem plus à l'est. Puis, le tronçon Cuiaba-Santarem permit l'accès, par le Mato Grosso, des régions du Sud. La transamazonienne facilita la colonisation et est apparue comme une solution au chômage et à son augmentation dans le Nordeste (MORAN, 1984). De ce fait, le nombre de petites exploitations a rapidement crû par la colonisation spontanée rendue possible par la construction des routes dans le Rondônia notamment (LOVEJOY, 1985).
Outre le développement d'infrastructures, l'autre volet concentrait la colonisation dans deux zones choisies pour leur fertilité et leur localisation stratégique dans l'accueil des migrants du Nordeste. Ces deux zones correspondent à la région de Santarem, autour d'Altamira et d'Itauba, et le territoire du Rondônia.
De plus, il incluait la planification de zones de colonisation et la construction d'entrepôts des compagnies affiliées à l'État. Il ne faut pas négliger non plus les incitations fiscales et les crédits très alléchants de la Banco do Brasil dans l'intérêt porté sur cette région par les principaux investisseurs.

Selon les directives du projet, les familles migrantes recevaient un lot de 100 ha délivré avec un titre de propriété et une indemnité de six mois de salaire. Le long des routes, un système urbain avait été envisagé avec la création ou le développement de centres ruraux ou urbains suivant les distances les séparant. Ce système de réseau urbain ne fonctionna que partiellement car il obligeait les paysans à habiter loin de leur lieu de travail, alors que la plupart n'était pas véhiculé.

Malheureusement, le projet n'eut pas la réussite escomptée car les terres s'avérèrent moins rentables que prévu, et les cultures vivrières comme le riz, le manioc le maïs et le feijo (haricot), inadaptées au climat amazonien. De plus, l'INCRA , à la tête du plan de colonisation, n'avait pas prévu le suivi des produits cultivés dans leur commercialisation et l'écoulement des stocks en surplus.
Le résultat final est qu'en 1974, lors de l'arrivée au pouvoir du président GEISEL, le développement de l'Amazonie par le moyen d'une colonisation de petits exploitants a plus ou moins échoué.
De ce fait, alors que le programme attendait l'installation d'un demi million de familles ; en 1974, on estimait à 5000 le nombre de colons dans le Rondônia et à 7700 le long de la Transamazonienne. Seule la région du Rondônia a vu le processus de migration se poursuivre sous la pression de l'installation spontanée, pleine d'espoirs. En 1985, 44000 familles sont installées sur des lots publics, beaucoup plus dans l'illégalité.

Le deuxième plan de développement, le second plan PIN des années 1975-1979, détermina des "pôles de développement" où se concentrèrent les pouvoirs publics. Dans le cadre de ce POLOAMAZONIA, le Brésil assista à une poussée agricole, caractéristique d'une colonisation spontanée ou privée, et à une poussée agro-pastorale sur les franges sud, le long des routes les plus accessibles.

Cependant, parallèlement à ce type de colonisation planifiée par l'État, on peut observer une mise en valeur des terres au travers d'une colonisation purement spontanée de l'espace et par l' investissement dans ces régions notamment de compagnies privées.
Mais avant même le lancement des grandes opérations, les paysans sans terre avaient entrepris une colonisation privée de l'Amazonie le long de la route Brasilia-Bélem.
Effectivement, la loi brésilienne reconnaît à tous ces occupants sans titre légal un droit de possession, le posse, qui vaut propriété pleine et entière -la terra devoluta- au bout de dix ans sur les terres de l'État et vingt ans sur les autres pourvu que les terres soient délimitées par un géomètre et le titre enregistré. De nombreux conflits éclatèrent quand il est apparu que les posseiros occupaient des futures zones de colonisation ou des futures fazendas . Ces rencontres entre migrants et investisseurs venus pratiquer la colonisation privée et l'élevage ont surtout été de fait dans les régions de cerrados, plus faciles à défricher. Mais dans certaines régions, les mêmes terres étaient convoitées.
Il est marquant d'observer la constitution de certains domaines d'élevage et de culture démesurés, l'achat de terre ne représentant que 5% des frais d'établissement bien que la SUDAM considérait que le seuil minimum de rentabilité était de 25000ha.

Les perspectives d'avenir ne sont pas, malgré cette formidable pénétration de l'homme à l'intérieur de ces espaces pionniers, particulièrement réjouissantes. Il faut noter l'échec total de la petite exploitation en Amazonie. Les migrants du Nordeste n'étaient pas formés à l'exploitation du milieu amazonien et ceux du Sudeste se sont orientés vers la moyenne et la grande exploitation.
D'une façon générale, on peut individualiser trois fronts de colonisation : un premier venant du Mato Grosso do Sul, propre à la grande, la moyenne, et la petite exploitation appelée chacaras ou sitios ; un deuxième vers le Rondônia propre à la petite exploitation officielle, et un troisième, venant du Nordeste et plus principalement de l'état du Maranhão, pour lequel, l'Amazonie représentait une terre d'espoir.
Promue pour détourner les migrations Nordeste-Sudeste vers les terres vierges et diminuer la pression sur les grandes villes du Sud, cette conquête du Nord-Ouest n'a pas rééquilibré le territoire national qui accuse de sévères disparités économiques et sociales, qu'elles soient inter ou intra régionales.
De plus, l'expérience amazonienne est apparue prématurée quant à l'adaptation au milieu. Ainsi, on observe un nouveau flux de migrants. Les terres défrichées d'Amazonie sont rapidement laissées en friche pour une intensification des terres du Mato Grosso. Actuellement, l'exploitation agricole se fait dans les campos cerrados . Les nouveaux migrants, toujours animés par cette soif de terre et de travail, quittent la malaria pour un espoir de salaria un peu plus au sud.

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